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Les voies de l'étrange et du mystérieux
Les voies de l'étrange et du mystérieux
  • Ce site se propose de rapporter des histoires mystérieuses et peu connues. Car bien souvent, le paranormal est là où on ne l'attend pas. Il évoque aussi certaines énigmes, en les abordant sous un angle inédit.
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Les voies de l'étrange et du mystérieux
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23 août 2021

Cinq histoires de bateaux-pièges

Le 24 juillet 1915, par une belle soirée d'été où commençaient de traîner les brumes nordiques, un petit vapeur de commerce battant pavillon danois, la Louise, piquait du nez dans les lames, s'efforçant d'atteindre sa destination le plus rapidement possible. La houle était forte, dans cette région déshéritée qui sépare le nord-est de l'Écosse des îles Orcades. 

La Louise, qui, outre sa cheminée, était dotée de 3 mâts, taillait la route tandis que l'homme de veille, les jumelles rivées aux yeux, scrutait la mer avec inquiétude. On se trouvait dans des parages malsains, hantés de sous-marins allemands, car la puissante flotte anglaise était retranchée près de là, dans son inexpugnable mouillage de Scapa Flow.

Certes, c'était un beaucoup trop gros gibier pour les navires allemands, à l'affût sous les eaux agitées qui mêlaient les courtes vagues de la mer du Nord à la longue houle de l'océan Atlantique. Mais, si les sous-marins ne pouvaient s'attaquer directement aux cuirassés, croiseurs et autres destroyers de Sa Gracieuse Majesté George V, du moins pouvaient-ils tenter de les paralyser en les privant de charbon, de pétrole, d'armes, de vivres... Qu'ils fussent alliés ou neutres, les petits bâtiments de commerce apportant ces précieuses denrées étaient, pour la flotte sous-marine de l'Allemagne, une proie aussi tentante que désarmée !

La Louise était arrivée à quelque 10 milles de l'île Rona et la cloche du bord se préparait à annoncer le quart de 18 heures, lorsque l'homme de veille poussa un cri étranglé :

-Périscope à un quart bâbord !

Au même instant émergeait, ruisselant, des profondeurs, le redoutable requin d'acier gris. Son kiosque s'ouvrit, une partie de l'équipage se précipita sur le pont afin de pointer le canon sur le petit bateau danois, et le coup de semonce passa à quelques mètres de la Louise.

Son capitaine avait déjà compris. Il ordonna la seule manœuvre possible en pareil cas : l'abandon du navire.

Le cœur serré, l'équipage se hâta de mettre les canots à la mer pour y embarquer, car les sous-marins étaient toujours pressés d'envoyer leur proie par le fond. Il ne leur restait qu'à souquer ferme pour essayer de gagner la terre.

La manœuvre s'achevait quand les hommes de la Louise virent le sous-marin virer de bord, ce qui leur permit de lire le numéro inscrit sur ses flancs : U-36. Toujours en surface, le submersible se dirigeait vers une autre victime qui venait d'apparaître sur les lieux du drame. À en juger par son pavillon, c'était encore un neutre; et, par son apparence, un bateau charbonnier.

Le commandant de l'U-36 se frotta les mains avec satisfaction. Coup double ! il aurait bien gagné sa journée. À vrai dire, il avait tout lieu d'être fier de son tableau de chasse. Depuis qu'il avait quitté son port d'attache, Helgoland, à la date du 19 juillet - 5 jours auparavant - il avait déjà coulé 8 chalutiers et un vapeur. Ses chefs pourraient le féliciter.

De toute la puissance de ses moteurs Diesel, l'U-36 faisait route sur le bateau charbonnier dont on pouvait lire le nom à la jumelle : Prince-Charles. Il tira un coup de semonce, qui tomba en avant du bâtiment.

Comme celui-ci n'obéissait pas assez vite à l'ordre de mettre en panne, le sous-marin tira un second coup, qui passa entre le mât de misaine et la cheminée : cette fois, il n'était trop long que de 50 mètres.

Le Prince-Charles siffla 3 fois et stoppa. On vit s'affaler les canots et l'équipage s'y entasser rapidement : la manœuvre de la Louise se répétait, identique.

Identique ?...

Le sous-marin opéra un mouvement tournant pour continuer à tirer; ce faisant, il présenta le flanc au Prince-Charles.

À l'instant même, le pavillon neutre qu'arborait celui-ci disparut, halé bas avec une incroyable célérité, tandis que montait au grand mât la flamme de la marine de guerre britannique.

À la même seconde, avec un superbe ensemble, les fausses rambardes du charbonnier s'abattirent, démasquant une batterie de canons servis par un équipage entraîné, jusqu'alors demeuré dissimulé sous des prélarts (grosses bâches en toile imperméabilisée); et les pièces de bâbord ouvrirent le feu sur l'U-36, avec un succès qui révélait des pointeurs exercés.

Frappés de stupeur et d'effroi, les Allemands se ruèrent sur le kiosque pour chercher abri dans les profondeurs du sous-marin, mais un second obus du Prince-Charles éclata à quelques mètres derrière.

Le sous-marin tourna de nouveau, essayant désespérément de se mettre en plongée, tandis que son adversaire s'approchait de toute la vitesse de ses moteurs. Il continuait à tirer et de nombreux coups au but firent vibrer la coque de l'U-36. L'équipage allemand se précipita sur le pont - et il fit bien : déjà le sous-marin commençait de s'enfoncer par l'arrière. Soudain son avant se dressa hors de l'eau... puis le bâtiment disparut à jamais dans les profondeurs de la mer.

Le Prince-Charles, après cette belle victoire due à la valeur de son commandant - le lieutenant Mark Wardlaw - et au cran de ses hommes, repêcha ce qu'il put des survivants : la moitié environ des 30 hommes et officiers d'équipage.

Bateau-piège

Pour la première fois dans l'Histoire, un sous-marin allemand venait de se trouver aux prises avec un bateau-piège.

Un bateau-piège ?

Ce n'est pas, comme on pourrait le penser, un navire de commerce renforcé par quelques canons, comme il y en eut tant au cours de la Première Guerre mondiale : en effet, pour répondre à la guerre totale menée par les sous-marins ennemis (souvenons-nous que, le 7 mai de cette même année 1915, le grand paquebot anglais Lusitania avait été torpillé par les Allemands et que 1 200 de ses passagers périrent !), les patrons pêcheurs et caboteurs, tant neutres qu'alliés, avaient bien été obligés d'apprendre à se servir d'un canon...

Les bateaux-pièges, que les Anglais appellent Q-ships, sont tout autre chose : de véritables navires de guerre, inscrits sous un faux nom sur les rôles de l'Amirauté, pourvus d'officiers et d'équipages de la marine de guerre.

À première vue, déguiser un navire de guerre en barque de pêche peut sembler une idée bouffonne. Ce n'était pas l'avis des commandants allemands, lesquels, subitement confrontés avec un Q-ship, n'avaient pas la moindre envie d'en rire...

Les bateaux-pièges exigeaient d'ailleurs, de leurs commandants comme de leurs équipages, des qualités toutes particulières. La bravoure, cela va de soi; mais aussi un rare sang-froid, afin de déceler l'instant propice de l'attaque : dévoiler trop tôt ses batteries, c'était risquer de s'attaquer à trop forte partie en donnant au sous-marin le temps de riposter; les dévoiler trop tard, c'était s'exposer à recevoir entre-temps un coup mortel.

U-boat

Par dessus-tout, il importait que chacun observe un secret absolu, faute de quoi le piège était éventé. Or, les pays alliés - et particulièrement les ports - grouillaient d'espions. C'était le temps, en France, où fleurissaient sur tous les murs et dans tous les trains des affiches rappelant les consignes de silence : Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies vous écoutent...

Il fallait enfin que les marins de la Flotte royale sachent se comporter en toute circonstance (et surtout à terre, dans les ports), exactement comme le faisaient les patrons et les équipages des caboteurs et bateaux de pêche !

Le commandant Charcot - l'explorateur polaire - qui avait tant rêvé d'être corsaire, avait obtenu pendant la guerre le commandement d'un bateau-piège.

-Si nous étions plus jeunes d'un siècle ou deux, quel beau corsaire j'aurais fait du Pourquoi-Pas ! disait-il avec nostalgie.

Les Q-ships lui permirent de réaliser, à peu de chose près, ce vieux rêve. Voici, d'après lui, quel doit être le comportement de ceux qui commandent l'un de ces bateaux : 

On doit connaître les mœurs de ses semblables*, parcourir les mêmes routes, agir comme ils le font, adopter leur peinture, leur aspect, sans négliger aucun détail, leur vitesse, leurs escales de refuge par mauvais temps et toutes leurs habitudes, non seulement de navigation ordinaire, mais encore de moyens employés pour chercher à échapper à une attaque de sous-marins.

*Petits patrons de la marine de commerce.

Comme nous l'avons vu dans le cas du Prince-Charles, cela impliquait qu'il y eût à bord du bateau-piège un "détachement de panique" chargé de descendre les canots à la mer, de s'y entasser et de souquer sur les avirons pour s'éloigner du bâtiment, tandis que l'équipage dissimulé à bord se préparait à démasquer les canons.

Charcot écrit encore :

(Nous avons, comme les marins de commerce), nids de pie, canons (en bois) sur l'avant et l'arrière, marque identique de cheminée. Nos vrais canons sont dissimulés en cas de visite à bord, le 47 dans son youyou qui est toujours en place, les quatre 75 du pont enfermés dans des caisses garnies de toile et de paille.

Charcot, à bord de la Meg, put engager l'ennemi à deux reprises. Entre-temps, lorsqu'il était à terre, il s'ingéniait à copier en tous points ses collègues des bateaux de commerce, hantant les mêmes tavernes bretonnes et prenant leur allure, leurs vêtements et leur façon de parler.

Signalons encore un curieux détail. Qui aurait pensé que durant la guerre de 1914-18, au temps des navires en acier, du charbon et du pétrole, la vieille marine à voile eût encore un rôle à jouer ?

Et, qui plus est, un rôle de bateau-piège ?

C'est pourtant ce qui se produisit. À cette époque, les voiliers neutres avaient coutume de traverser la Baltique avec une cargaison de poteaux de mine : les sous-marins allemands en coulèrent bon nombre.

C'est pourquoi l'Amirauté eut l'idée d'armer en Q-ship une vieille goélette, la Thirza, construite en 1865, qu fut rebaptisée Ready et armée de deux canons de 12 livres. Elle n'hésita pas à attaquer les redoutables sous-marins, qui avaient sur elle tous les avantages, sauf celui de l'indomptable courage et de la surprise.

Sous les noms successifs de Thirza, Ready, Probus, Elixir et Q-30, ce vieux bâtiment perclus se battit d'août 1915 jusqu'à l'armistice et assura un excellent service.

Une des caractéristiques des bateaux-pièges était en effet leurs fréquents changements de nom, ainsi que de silhouette, afin d'éviter qu'ils ne fussent repérés par leurs adversaires.

Et plus d'un voilier, en particulier de nombreux dundees*, rejoignit la Thirza au danger et à l'honneur.

*Bateaux de pêche et de cabotage à deux mâts.

Commandant Charcot

On comprend que dès lors, la rencontre d'un petit bateau marchand posait aux sous-marins allemands une mortelle énigme ! S'agissait-il d'un bateau-piège ?

Sinon, l'attaquer était pratiquement sans danger. Bien que les navires de commerce aient reçu un semblant d'armement leur permettant de se défendre, il fallait un hasard heureux (qui se produisait parfois...) pour qu'un canonnier novice, de son métier pêcheur ou caboteur, mît un coup au but. La proie était, le plus souvent, inoffensive. 

Mais si l'on était exposé à voir le fallacieux pavillon neutre brusquement halé bas pour faire place à la grande flamme de guerre de la Royal Navy, si fausses rembardes et faux canots s'abattaient pour démasquer de vrais canons servis par de vrais canonniers, les choses n'allaient pas toutes seules et plus d'un "U-boat" paya de sa vie sa fatale méprise.

Le drame de mer dont les trois principaux acteurs furent le Nicosian, le Baralong et l'U-27, a été raconté par un témoin oculaire au capitaine de corvette anglais E. Keble Chatterton, auteur d'un excellent ouvrage sur les bateaux-pièges.

Le Nicosian avait quitté les États-Unis avec un chargement de mulets destinés à l'armée anglaise et se trouvait, le 19 août 1915, par 50° 22' de latitude nord et 8° 7' de longitude ouest, c'est-à-dire dans la région comprise entre la côte sud-ouest d'Irlande et l'entrée ouest de la Manche. Le navire faisait route aussi vite que le lui permettaient ses moteurs, car c'était là une zone qu'affectionnaient particulièrement les sous-marins allemands : la plus grande partie du trafic maritime entre l'Amérique et l'Angleterre passait nécessairement dans ces parages.

Et ce même jour, précisément, 8 vapeurs anglais y furent coulés, entre autres un paquebot de 15 800 tonnes, l'Arabic, appartenant à la "White Star Linie", compagnie bien connue.

Soudain, ce que redoutait l'équipage du Nicosian se produisit : un sous-marin allemand émergea à faible distance et commença de le canonner.

Le radio du bord émit instantanément les signaux de détresse, espérant que quelque bateau se trouverait à portée pour les capter...

Entre-temps, le capitaine du Nicosian avait bien été obligé de stopper et de donner le signal d'abandon. La rage au cœur, l'équipage descendit les canots et y prit place avec les muletiers, tandis que les bêtes demeuréées à bord du petit vapeur qui servait de cible à l'U-27 ruaient et renâclaient désespérément...

Tout à coup, comme dit le poète, "le combat changea d'âme" avec l'apparition soudaine sur les lieux du drame d'un autre petit vapeur, le Baralong, qui avait toute l'apparence d'un vapeur de charge américain et portait les couleurs des États-Unis visiblement peintes sur ses flancs.

Le Baralong mit le cap sur les canots chargés de rescapés, comme s'il allait recueillir ces derniers.

L'U-27 manœuvra rapidement pour se glisser entre eux, de façon à couper la route au sauveteur. Il était armé de deux canons de 22 livres, l'un à l'avant et l'autre à l'arrière de son kiosque; et, tout en manœuvrant, il continuait de tirer sur le Nicosian abandonné.

En abattant* pour changer de route, le sous-marin fut pendant quelques instants masqué par sa victime. Lorsqu'il se retrouva en vue du Baralong, la stupéfaction saisit tout son équipage : les planches peintes aux couleurs américaines étaient tombées, le pavillon de la Royal Navy avait remplacé celui des États-Unis et des canons, déjà pointés, se tenaient prêts à déverser une salve d'obus sur l'U-27 dès que celui-ci réapparaîtrait.

*Pour un bateau, abattre signifie s'éloigner de la direction d'où vient le vent.

La décharge fut d'autant plus redoutable qu'une distance de moins d'un demi-mille séparait les deux adversaires; ce qui permit aux gens du Baralong de tirer sur le submersible au fusil aussi bien qu'au canon. L'équipage allemand, épouvanté, n'eut que le temps de sauter à la mer, car le sous-marin avait déjà basculé sur le flanc. Deux minutes ne s'étaient pas écoulées avant qu'il allât par le fond, emportant tout son équipage, à l'exception des quelques hommes en service à l'extérieur.

Les matelots du Nicosian, enchantés, applaudirent à tout rompre leur habile sauveteur et mirent le cap sur leur bateau qu'ils réintégrèrent avec plaisir, bien qu'il fût troué comme une passoire. Tandis que les muletiers s'occupaient de calmer leurs bêtes affolées, les marins saisissaient la remorque passée par le Baralong afin de suivre celui-ci jusqu'au port le plus proche. 

Le malheureux Nicosian piquait fortement du nez et se traînait comme un canard boiteux. Pour comble de malchance, la remorque cassa pendant la nuit. Cependant le petit vapeur parvint à rallier un port... et à y décharger triomphalement ses mulets !

L'affaire du Baralong fit grand bruit. En premier lieu, l'U-27 qu'il avait si promptement exécuté, avait quitté l'Allemagne, 15 jours auparavant, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Wegener, l'un des meilleurs sous-mariniers de la flotte du Kaiser. En second lieu, plusieurs des muletiers étant de nationalité américaine, l'aventure eut aux États-Unis un grand retentissement.

Tous les officiers du Baralong (sauf un) et la plupart de ses hommes appartenaient à la réserve de la marine royale. Ils reçurent les distinctions que leur avait méritées leur brillant exploit. Celui-ci ne devait pas rester isolé : moins de 5 semaines plus tard, sous le nom de Wyandra et sous un nouveau commandement, le Baralong coulait l'U-41 presque dans les mêmes parages et en employant une tactique identique.

Ces victoires rapides et spectaculaires étaient chèrement achetées par de longs mois de croisière dans des eaux agitées, à bord de petits bateaux inconfortables qui roulaient et tanguaient sans merci, tandis que s'écoulaient les jours voués à des tâches monotones, sans que le moindre sous-marin allemand parût à l'horizon !

Nazi U-boat

Les parages de la Manche et de la mer d'Irlande n'étaient pas les seuls où des Q-ships fussent entrés en action. La Méditerranée eut aussi les siens, dont les plus célèbres furent le Margit et le Werribee.

Armé en bateau-piège depuis un mois, le Margit faisait route en direction de Malte lorsqu'il capta un S.O.S., le 17 janvier 1916, vers 9 heures du matin. Forçant sa vitesse, il aperçut bientôt, à 4 ou 5 milles dans le sud, un petit vapeur, le Baron-Napier, qu signalait désespérément : "Je suis attaqué." 

Hissant le pavillon hollandais, le Margit se dirigea droit sur lui.

Il était à deux milles à peine du sous-marin en train de canonner le Baron-Napier que l'allemand changea d'objectif et commença de tirer sur le Margit, dont le commandant dirigeait la manœuvre, couché à plat ventre sur la passerelle.

Celui-ci fit hisser le signal "Je suis stoppé" et mettre à la mer le canot de sauvetage, dans lequel descendit le "détachement de panique".

Le Margit paraissait bel et bien abandonné et le sous-marin, apparemment satisfait, plongea, puis reparut à hauteur périscopique, afin de s'assurer qu'il n'avait pas affaire à un bateau-piège. Toujours à immersion périscopique, il fit le tour du Margit, puis se décida à reparaître en surface et signala au canot de le rallier.

Le commandant Hodson jugea le moment venu d'abattre les masques des canons, de hisser le pavillon de la marine royale et d'ouvrir le feu sur son adversaire. Un obus frappa la coque à peu de distance du kiosque : le sous-marin plongea aussitôt.

Le Margit était en train de remonter son canot lorsque le grand fuseau d'acier reparut, apparemment en difficulté; mais il plongea de nouveau dès que les canons du Margit recommencèrent à tirer. Le bateau-piège croisa en vain sur les lieux pendant 3 heures : sa proie ne reparut pas.

Cependant cette prompte action avait sauvé le Baron-Napier, qui mit à profit cette diversion pour gagner le port.

Quant au Werribee (qui combattit aussi sous le nom de Wenganella et bien d'autres), c'était un grand vapeur de 3 848 tonneaux, lesté de sable, qui croisait sur la route commerciale séparant Malte de l'Égypte.

Dans la matinée du 3 février 1916, il reçut un appel de détresse du vapeur Springwell, qui venait d'être torpillé et commençait à couler : son équipage, entassé dans les canots, s'efforçait de gagner la Crète.

Le Werribee s'en approchait pour recueillir des renseignements lorsque la mer s'ouvrit pour livrer passage à un redoutable squale d'acier. Celui-ci n'était pas peint en gris, mais camouflé en brun verdâtre, comme les corsaires de l'ancien temps. Tandis qu'il se dirigeait droit sur le Werribee, on rappela aux postes de combat à bord de ce dernier. Mais les choses se déroulèrent si vite qu'on n'eut même pas le temps de jouer la petite comédie rituelle d'abandon du navire : le sous-marin canonnait déjà sa proie. En moins de 10 secondes, les marins du Werribee étaient parés à tirer et son canon de 102 à tir rapide entrait en action. Au bout de 6 coups, le sous-marin plongea dans un nuage de fumée - ruse favorite des submersibles, au moyen de laquelle ils dissimulaient leurs manœuvres aux yeux de l'adversaire. On ne le revit pas de la journée et nul ne sut jamais s'il avait été touché par les salves du Werribee.

Cependant cet engagement ne fut pas inutile. Il avait contribué à prouver deux choses. La première, que les canons à tir rapide et longue portée devenaient des armes indispensables à bord des bateaux-pièges, attaqués de loin par les sous-marins. La seconde, que ces derniers aimaient ensuite à venir tourner sous le nez de leur proie, pour voir à qui ils avaient affaire : il était donc nécessaire que les bateaux-pièges demeurent à flot, même s'ils avaient été atteints, afin de pouvoir jusqu'au dernier moment surprendre et canonner les sous-marins. On leur attribua donc comme lest des poutres et des barriques susceptibles de les soutenir longtemps sur l'eau.

U-boat allemand type 7

Commandé par le jeune et brillant lieutenant de vaisseau Gordon Campbell - qui devint rapidement capitaine de corvette - le vapeur de charge Loderer - rebaptisé Farnborough au cours de sa première traversée, croisait en mars 1916 par le travers de la côte ouest d'Irlande. Soudain l'homme de quart aperçut, droit devant, à environ 8 milles, un sous-marin en demi-plongée. Le Farnborough continua sa route avec toute l'apparence candide... Vingt minutes plus tard, une torpille passait si près de son avant qu'on put apercevoir les bulles d'air qu'elle déplaçait ! Avec un rare sang-froid, le bateau-piège continua d'avancer sans paraître se douter de rien. Cette fois, il reçut le coup de semonce du sous-marin qui venait d'émerger à  moins de 1 000 mètres.

Comme il était de règle, le Farnborough stoppa ses machines et mit à la mer ses canots chargés du détachement habituel, tandis qu'à bord du navire "abandonné" l'équipage demeurait caché, l'oreille au guet et le cœur battant, prêt à engager le combat d'une seconde à l'autre. L'ennemi se rapprocha sans crainte... 

Alors le navire charbonnier jeta le masque, arbora le pavillon de guerre et ouvrit un feu d'une rare puissance : outre 5 canons de 12 livres, il avait encore deux canons de 6 livres et une mitrailleuse Maxim.

Plusieurs coups au but frappèrent le sous-marin, qui commença de couler. Le Farnborough gagna aussitôt le point où il venait de disparaître et lança une volée de grenades sous-marines. Tout à coup, le sous-marin reparut, son avant largement déchiré et son périscope endommagé, encaissa encore un coup de canon et s'enfonça définitivement dans les flots en laissant échapper une large traînée d'huile.

Il s'agissait du U-38, submersible à grand rayon d'action, une des plus belles unités de la flotte ennemie.

Décorations et récompenses saluèrent l'exploit du commandant Campbell et de ses hommes.

Il ne s'était guère écoulé plus d'un mois - c'était le 15 avril 1916 - et le Farnborough, faisant route vers les Orcades, se trouvait à quelque distance du vapeur hollandais Soerakarta, lorsqu'un sous-marin fit butalement surface entre les deux navires et leur ordonna de lui envoyer leurs documents de bord.

Pour gagner du temps, le Farnborough continua d'avancer à petite allure en arborant les pavillons du code international qui signifient : 

"Je ne comprends pas votre messsage."

Puis il parut se raviser et signala : 

"Je vous envoie un canot avec les papiers du bord."

Il mit effectivement un canot à la mer, sous le commandement d'un enseigne auquel le commandant avait ostensiblement remis les documents.

L'allemand tira le coup de semonce... Un matelot du Farborough, croyant que son navire venait d'ouvrir le feu, jugea bon de riposter. Il n'était plus question de feindre ! Le commandant Campbell se hâta de hisser le pavillon de la marine royale et donna l'ordre de tirer.

L'ennemi, endommagé par les canons à tir rapide, réussit néanmoins à plonger.

Comme le Farnborough s'approchait du vapeur hollandais, celui-ci, à son aspect minable, le prit pour un innocent petit vapeur de commerce et lui offrit son assistance !...

Ce ne fut pas là le dernier exploit du Farnborough : il devait être donné au commandant Campbell d'écrire une page glorieuse, dans des circonstances particulièrement remarquables.

Il avait tracé dans son cahier d'ordres ces lignes, que tous ses officiers avaient signées : 

Si l'officier de quart voit venir une torpille, il doit diminuer de vitesse pour assurer le choc de la torpille.

Oui : sacrifier au besoin son bâtiment pour avoir une meilleure chance de couler l'ennemi, telle était la résolution prise par les hommes du Farnborough*.

*L'équipage tout entier en avait été averti et chacun avait reçu permission de débarquer s'il le désirait. Personne ne voulut quitter le bord.

Alors le sous-marin se décida à émerger et à venir rôder autour de sa proie : il en passa à moins de 12 mètres... Malgré son impatience, le commandant jugea bon d'attendre encore l'instant propice à la riposte...

Le sous-marin fit tranquillement le tour du navire déserté par ses canots, à bord duquel il ne put distinguer âme qui vive; puis il plongea et reparut en surface, à 300 m environ par bâbord et à bonne portée des canons du Farnborough.

Gordon Campbell donna l'ordre de hisser la grande enseigne et d'ouvrir le feu.

Ce tir à bout portant frappa le kiosque de plein fouet et décapita le commandant du sous-marin. Quelques instants plus tard, la coque de l'U-83 était transformée en écumoire : il coula finalement, son panneau ouvert pour laisser passer l'équipage qui se ruait au-dehors. Le Farnborough était en fort mauvaise posture : ses cales 3 et 4 se remplissaient et le bâtiment coulait par l'arrière. Tandis que les canots recueillaient une partie des survivants de l'U-83, le commandant émit un signal de détresse par radio, puis il embarqua aussi dans les canots avec l'équipage et les papiers du bord, après avoir détruit les cartes et les ordres confidentiels. Heureusement un torpilleur anglais se trouvait à portée; il se précipita au secours du bateau-piège avec une telle célérité qu'il recueillit la plus grande partie de l'équipage... alors que le commandant et le reste de ses hommes remontaient courageusement à bord du Farnborough, qui était resté à flot, et entreprenaient de le ramener au port, grâce à l'aviso Buttercup qui venait d'arriver et le prit en remorque.

Après mille incidents, tels que remorque cassée, le Farnborough, secouru par plusieurs navires, put enfin gagner Berehaven, où il arriva presque couché sur l'eau, le flanc incliné à plus de 20 degrés et l'arrière enfoncé de plus de 3 mètres ! Ainsi s'acheva sa glorieuse croisière.

15 énigmes de l'Histoire (textes d'Yvonne Girault), édité par Gautier-Languereau (1968).

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