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Les voies de l'étrange et du mystérieux
Les voies de l'étrange et du mystérieux
  • Ce site se propose de rapporter des histoires mystérieuses et peu connues. Car bien souvent, le paranormal est là où on ne l'attend pas. Il évoque aussi certaines énigmes, en les abordant sous un angle inédit.
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Les voies de l'étrange et du mystérieux
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30 mai 2022

Une seule vie... ou plusieurs vies ?

Depuis des millénaires, une grande partie de l'humanité croit à la réincarnation ou à la renaissance. On est convaincu que toute vie sensible est profondément liée au cycle du paraître et du disparaître, de la mort et d'une vie nouvelle, cycle au sein duquel elle se joue sans qu'on puisse assigner un commencement ni peut-être même une fin à l'ensemble du processus. Pourquoi donc un être humain ne renaîtrait-il pas sous la forme d'un autre être humain, ou même d'un animal ou d'un dieu ? C'est pourtant ce que croient non seulement beaucoup de peuples primitifs chez qui cette croyance est très étroitement liée à l'animisme et au totémisme. Mais c'est surtout ce que croient ces centaines de millions d'hommes qui appartiennent aux religions d'origine indienne : hindous, bouddhistes, jaïns, etc.

Car, depuis les Upanishads (environ 800 av. J.-C.), cette doctrine, que les Indo-Aryens tenaient probablement de la population préasiatique, équivaut à la foi en ces religions. L'influence indienne sur les premiers penseurs grecs, tant en Grèce qu'en Asie Mineure, n'est certes pas prouvée, mais elle est tout à fait possible. Il est sûr que non seulement les Orphiques, Pythagore et Empédocle, mais également Platon, Plotin et les néo-platoniciens (tout comme Virgile dans son Énéide), ont professé cette doctrine, ce qui ne fut pas sans influence sur la gnose chrétienne, et, en passant par le manichéisme, jusque sur des sectes médiévales (cathares).

Dans l'Europe et l'Amérique d'aujourd'hui, il y a aussi de nombreuses personnes - très nombreuses même, s'il faut en croire les tirages - qui trouvent la doctrine de la réincarnation tout à fait convaincante sur le plan religieux. Il y a non seulement tous les groupes possibles de spirites et de spiritualistes, mais aussi, avec beaucoup de tenants de néo-révélations, la théosophie (d'Héléna Petrovna Blavatsky et Annie Besant) et actuellement en particulier les partisans de l'anthroposophie de Rudolf Steiner.

Annie Besant

Il faut d'abord présenter les arguments majeurs pour et contre la réincarnation, en étant conscient que ces arguments changent considérablement en fonction du point de vue de ceux qui les font valoir : panthéistes hindouistes ou spinozistes, bouddhistes rejetant tout (âme individuelle), spirites, anthroposophes, chrétiens catholiques, protestants ou orthodoxes tenus par leur confession, ou encore (cela s'est parfois présenté dans l'Histoire) juifs ou musulmans. Quoi qu'il en soit, pour un grand nombre, la doctrine de la réincarnation répond en fait à des questions auxquelles ils ne trouvent pas de réponse ailleurs; elle comble ainsi pour beaucoup un vide spirituel et religieux. Quels sont donc les arguments pour et contre ?

Arguments pour et contre la réincarnation :

Il est incontestable que, derrière la doctrine de la réincarnation, se cache avant tout la question philosophico-religieuse d'un ordre juste et moral du monde, la question de la justice dans un monde où les destins sont par trop inégaux. Un examen aussi bien rétrospectif que prospectif des arguments s'impose donc.

a) Rétrospectivement : un ordre du monde véritablement moral présuppose nécessairement l'idée d'une vie antérieure à la vie actuelle. Car comment expliquer les inégalités de chances entre les hommes, la diversité troublante des situations morales et des destins individuels, si l'on n'admet pas que les bonnes ou mauvaises actions d'une vie terrestre antérieure sont la cause du sort actuel de l'homme ? Autrement, il me faudrait tout mettre au compte du hasard aveugle ou d'un Dieu injuste qui permettrait que le monde soit tel qu'il est aujourd'hui. Réincarnation ou renaissance sont donc nécessaires pour donner à l'homme une explication de lui-même, de son origine et de son avenir, et pour justifier Dieu ! Le problème de la théodicée* serait alors résolu. On pourrait alors expliquer pourquoi si souvent tout va mal pour le bon (à cause d'une faute antérieure) et tout va bien pour le méchant (grâce aux bonnes actions antérieures !).

Voilà donc une doctrine de la renaissance qui se fonde sur le karma (= action ou œuvre), sur les suites des bonnes comme des mauvaises actions, qui déterminent le destin de chacun dans la vie présente et dans les naissances futures. Une bonne conduite entraîne automatiquement la renaissance dans le bonheur (comme brahmane, ou roi, ou au ciel), une mauvaise conduite entraîne la renaissance dans la misère (comme animal, ou dans l'enfer qui évidemment n'est pas éternel).

Si claire que paraisse au premier coup d'œil cette position, elle soulève pourtant d'autres questions :

  1. Est-ce que vraiment une vie antérieure peut expliquer de façon satisfaisante le destin de ma vie présente ? Cette vie antérieure devrait elle-même être expliquée par une vie encore antérieure, de sorte qu'on remonterait in infinitum par une chaîne de renaissances. Cela finalement n'explique rien et les hindous et jaîns eux-mêmes n'y sont pas partisans.
  2. Mais supposons que, en qualité de croyant à la réincarnation, on postule, avec la tradition judéo-christiano-islamique, un commencement dû à une création par Dieu, comment faut-il concevoir ce premier commencement qui rend encore nécessaire une deuxième vie, sans pourtant accabler le créateur de cette créature manifestement malheureuse ? Un recours à la chute précosmique de purs esprits est-elle en ce cas réellement un secours ?
  3. Si nos dispositions morales s'expliquent par une renaissance, n'en arrive-t-on pas alors à un individualisme an-historique qui néglige pour une bonne part ce que nous tenons très concrètement non pas d'une vie précédente hypothétique, mais de l'héritage biologique, de la formation de notre conscience et de notre inconscient dans la toute petite enfance, des premières relations personnelles et finalement de toute la situation sociale ?
  4. Si de façon générale, il faut admettre un oubli radical de la vie antérieure, l'identité d'un homme est-elle alors préservée et m'est-il effectivement de quelque secours de savoir que j'ai déjà vécu, si j'ai totalement oublié cette vie ?
  5. La doctrine de la réincarnation n'implique-t-elle pas finalement un manque de respect devant le mystère de la divinité, un manque de confiance quant à une juste et miséricordieuse répartition, et appréciation de la destinée et de la souffrance ? La dure loi de causalité du karma occupant la place de l'amour de Dieu qui, dans sa justice et sa miséricorde, embrasse les bonnes comme les mauvaises actions ?

Héléna Blavatsky

b) Prospectives : un ordre du monde vraiment moral présuppose nécessairement l'idée d'une vie après cette vie. Car comment obtenir l'apaisante compensation que tant d'êtres humains attendent à juste titre (pensons au meurtrier et à ses victimes !) ? Comment parvenir à développer la nécessaire perfection éthique dans la vie d'un homme, si la possibilité d'une autre vie ne lui est pas accordée ? Donc, réincarnation pour une juste sanction de toutes les œuvres, celles des bons comme celles des mauvais, et aussi pour la purification morale de l'homme ! La doctrine du karma et de la renaissance permet à l'homme d'enrayer la perturbation de l'ordre du monde et finalement de sortir du cercle éternel des renaissances (samsâra). Simple question au passage : la doctrine chrétienne du purgatoire ne s'inspire-t-elle pas d'une idée semblable, celle d'une deuxième vie, que suit d'une certaine manière une troisième ("une vie éternelle"), bien que ces "vies" se situent dans des régions supraterrestres ?

Mais ici aussi d'autres questions se posent, qu'on ne peut taire :

  1. L'exigence d'une apaisante compensation dans une autre histoire ne méconnaît-elle pas le sérieux de celle qui tient très précisément à ce qu'elle ne se produit qu'une fois sans pouvoir se répéter, de sorte que tout ce qui a été manqué une fois ne peut jamais être rattrapé ?
  2. N'y a-t-il pas des perturbations de l'ordre du monde qu'aucune action humaine ne pourra jamais corriger : des fautes qui ne peuvent être réparées, mais seulement pardonnées ? En effet, n'appartient-il pas au caractère humain (peut-être devrait-on dire mieux : au caractère chrétien) de l'idée de faute, qu'une faute puisse être aussi "pardonnée et oubliée", plutôt qu'expiée, selon une loi d'airain surhumaine ? Donc, au lieu de la loi de causalité du karma, loi sans pitié, n'y a-t-il donc pas le Dieu de la grâce ?
  3. Dans le bouddhisme justement, la vieille doctrine indienne de la transmigration des âmes peut-elle s'allier de manière réellement convaincante à la nouvelle doctrine bouddhique niant l'âme humaine ? N'y a-t-il pas contradiction, dès lors que la doctrine bouddhique du non-moi nie la continuité du sujet, tandis que la vieille doctrine indienne de la renaissance et du karma l'exige ? Comment y aurait-il donc transmigration des âmes sans âme, comment sauvegarder l'identité sans un moi ? Même dans ses interprétations philosophiques (faisceau de karma, formation de dispositions fondamentales, caractère intrinsèque), le karma peut-il remplacer l'expérience personnelle ?

c) Quoi qu'il y ait à dire théoriquement d'un point de vue rétrospectif ou prospectif, empiriquement, la vie terrestre réitérée est un fait établi. Voici en effet ce que disent les tenants de la doctrine de la réincarnation : n'y a-t-il pas de très nombreux récits détaillés dus à des personnes qui se souviennent de leur vie antérieure ? Comment cela pourrait-t-il s'expliquer autrement que par une réincarnation ? De nombreuses études de parapsychologues actuels sur les agissements de défunts n'ont-elles pas corroboré, scientifiquement, la doctrine de la réincarnation ? Pour cette raison, les expériences dites spirites avec les esprits des défunts ne doivent-elles pas être réestimées et prises au sérieux ? N'y a-t-il pas dans l'Ancien et le Nouveau Testament eux-mêmes au moins des traces de cette doctrine, quand par exemple, il est question du retour du prophète Élie en la personne de Jean-Baptiste ? Pour cette raison, ne faut-il pas comprendre les condamnations de cette doctrine par l'Église et par les conciles en fonction du contexte historique d'alors et les relativiser ? Le christianisme est-il réellement inconciliable avec l'idée de réincarnation ? Ne peut-on, de nos jours, ôter cette idée de son contexte philosophique si différent et l'intégrer dans un contexte chrétien comme, au cours de l'histoire de l'Église et de la théologie, on a intégré tant de nouvelles doctrines ?

Bien que l'intégration de nouvelles doctrines dans la tradition chrétienne ne puisse être exclue a priori, il faut tout de même prendre au sérieux les objections suivantes. Du point de vue chrétien, on opposera déjà une attitude sceptique au présupposé majeur, selon lequel l'âme humaine (si elle n'est pas tout simplement une émanation sans commencement du divin) devrait s'entendre d'une substance indépendante du corps et survivant à toute disparition du corps humain. Des idées populaires que l'on trouve en marge du Nouveau Testament, comme celle du retour du prophète Élie, signifient moins la renaissance du défunt Élie dans un autre corps d'homme, que le retour dans son propre corps de l'Élie enlevé au ciel.

Tous les Pères de l'Église - à commencer par Hippolyte et Irénée au IIe siècle (Origène aussi !) - se sont opposés, comme plus tard les conciles, à la doctrine de la réincarnation représentée par pythagoriciens et platoniciens.

Le même scepticisme concerne l'affirmation qu'il y a une âme avant le corps, et celle qu'il y a une âme après le corps. Admettre tant la préexistence que la postexistence d'une âme séparée, indépendante d'un substrat corporel, ne répond ni à nos expériences ni aux données de la médecine, de la physiologie ou de la psychologie actuelles; en général, elles partent de l'unité psychosomatique de l'homme. Dans l'ensemble, tout cela ne répond pas non plus à l'Ancien ni au Nouveau Testament qui - d'une manière autre que par exemple dans le dualisme platonicien - proposent une concepton globale de l'homme.

À la lumière biblique, les convictions spirites touchant un corps astral éthéré ont donc plutôt l'air de superstitions. En tout cas, malgré les innombrables récits sur ce sujet, il n'y a aucun fait généralement reconnu et scientifiquement incontesté, comme doit en convenir John Hick lui-même, qui concilierait la croyance indienne en la réincarnation et la foi judéo-chrétienne en la résurrection. Aucun des récits de souvenir d'une (!) vie antérieure - venant du moins d'enfants et de personnes natives des pays où l'on croit à la réincarnaton - n'a pu être vérifié, pas plus que le récit, écrit bien des siècles après la mort de Bouddha et manifestement légendaire, du souvenir qu'il aurait eu des 100 000 vies qu'il aurait vécues.

Samsara

Même si l'on n'a pas le droit de rejeter d'emblée comme sornettes tous les phénomènes dont s'occupe la parapsychologie (télépathie, voyance), il est pourtant évident que les parapsychologues qui font un travail scientifique rigoureux, sont extrêmement réservés sur les théories de la réincarnation. Même quand ils y croient personnellement, la plupart d'entre eux reconnait que, malgré des expériences qu'ils ont pu constater, on ne peut pas parler de preuve réellement convaincante en faveur d'une vie terrestre réitérée. Beaucoup d'anthroposophes eux-mêmes considèrent la doctrine de la réincarnation moins comme une théorie scientifiquement établie que comme une conviction de foi indémontrable.

Au regard de tous les arguments pour et contre, on ne peut en aucun cas dire que cette doctrine est fondée sur des preuves. N'oublions surtout pas que, en dépit du grand attrait que présente l'idée de renaissance, des arguments de poids parlent contre elle, de même que, parmi les Indiens, les Chinois et les Japonais cultivés, on rencontre beaucoup de scepticisme eu égard à l'idée de réincarnation. Non seulement elle n'apporte pas de solution à de nombreux problèmes qu'elle prétend résoudre, mais elle en soulève d'autres, encore plus nombreux. En tout cas, pour décider en connaissance de cause, il vaudrait la peine de se reporter à l'alternative que propose en ce cas la tradition judéo-christiano-islamique, laquelle, sur ce point, est confirmée par une autre grande tradition extrême-orientale, souvent négligée, à savoir la tradition chinoise, influente autant en Corée, qu'au Japon et au Viêt-Nam. En Chine, on ne croyait pas à une réincarnation avant l'introduction du bouddhisme, et même, par la suite, les savants de tradition confucéenne ont continué de rejeter la réincarnation, parce qu'ils estimaient indigne que l'homme ait la même considération pour tous les êtres sensibles et représente ses aïeux hautement vénérés sous l'aspect de bête de somme ou même d'insectes...

Toutefois, pour le moment, la question doit rester en suspens, parce que cette alternative est loin d'être évidente : une ou plusieurs vies après la mort ? Laquelle des deux explications est la plus plausible ? Pour des chrétiens traditionnalistes, le choix est vite fait, pour d'autres peut-être moins. En tout cas, on comprendra sans doute mieux à présent pourquoi l'idée de renaissance a conservé pour un grand nombre un attrait non négligeable. À ce propos, je n'ai pas encore mentionné un attrait tout à fait particulier. C'est la forme la plus inquiétante et la plus moderne de l'idée de renaissance : l'éternel retour du même. Il nous faut ici réfléchir encore un peu sur la "pensée la plus abyssale".

*Partie de la métaphysique qui justifie Dieu du mal qui pourrait constituer une objection à sa bonté ou à son existence. Partie de la théologie qui traite de Dieu et de ses attributs.

Hans Küng, Vie éternelle ?

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