Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les voies de l'étrange et du mystérieux
Les voies de l'étrange et du mystérieux
  • Ce site se propose de rapporter des histoires mystérieuses et peu connues. Car bien souvent, le paranormal est là où on ne l'attend pas. Il évoque aussi certaines énigmes, en les abordant sous un angle inédit.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Les voies de l'étrange et du mystérieux
Newsletter
Pages
11 décembre 2023

Le chirurgien du miracle (1)

Il faisait presque nuit et le minibus Volkswagen roulait péniblement sur la route accidentée qui, de Rio de Janeiro, 400 km plus au sud, conduit au village de Congonhas do Campo. Les montagnes vertes, ondulant comme une table de billard froissée, avaient pris une couleur gris-mauve quand le chaud soleil brésilien les avait quittées. La grande route de Rio, connue sous le nom de BR-3, suivait l'itinéraire le moins accidenté qu'il soit possible de suivre au travers de ce pays minier où l'or noir et l'acier avaient attiré des industriels européens et nord-américains dès les premiers temps de la colonisation du Brésil. Au crépuscule, la surface nue, couleur d'émeraude, des montagnes dépourvues d'arbres, passe d'un éclat aveuglant à une lueur inquiétante qui est à l'origine historique de mythes et de légendes.

 

Il y avait quatre hommes à l'intérieur du minibus : deux interprètes, étudiants à l'université de Rio de Janeiro, et deux Américains de formations très différentes. Henry Belk, sudiste de Caroline du Nord, âgé d'une cinquantaine d'années, élancé et affable, qui était à la fois un homme d'affaires en pleine réussite et un aventurier intellectuel, tenait le volant depuis plus de dix heures, évitant les conducteurs brésiliens les plus exubérants et manœuvrant avec une habileté consommée pour négocier les virages en épingle à cheveux au bord des précipices. Près de lui se tenait le Dr Henry K. Puharich, diplômé de l'université de Northwestern et spécialiste des appareillages utilisés en biologie, qui tentait d'élargir et de consolider sa culture scientifique déjà très étendue en étudiant les phénomènes mal compris se rapportant au spiritisme. Actif et intelligent, cet homme d'une quarantaine d'années avait été amené à étudier en compagnie de Belk les aptitudes inhabituelles de Peter Hurkos, médium dont les exploits dans le domaine des perceptions extrasensorielles avaient fait naître de grandes controverses - aussi bien dans les milieux scientifiques qu'au sein des services de police - quand il avait localisé des personnes disparues et éclairci des affaires embrouillées grâce à son don de voyance.

 

Mais l'objet de leur recherche sur cet immense plateau des hautes terres brésiliennes n'était pas Hurkos. C'était Zé Arigό, un Brésilien énergique, de souche paysanne, dont la renommée était allée jusqu'à Belk au cours de ses recherches personnelles sur le paranormal. Belk avait fondé un important institut de recherche dont le but était justement de faire de telles enquêtes. Il avait persuadé Puharich de se joindre à lui pour enquêter sur Arigo qui, en raison de ses succès médicaux, faisait la une des journaux brésiliens et dont les exploits, disait-on, tenaient du miracle.

 

Conselheiro Lafaiete

À la tombée de la nuit, le minibus n'était pas encore arrivé à Congonhas do Campo et il était 10 h passées quand ils atteignirent une petite cité d'apparence très modeste : Conselheiro Lafaiete, village minier et gare de chemins de fer sur le plateau, à une vingtaine de km de leur but. L'hôtel, dans le village, paraissait vide et inhospitalier, et ils décidèrent de continuer, malgré l'heure tardive, sous les étoiles particulièrement brillantes qui semblaient être des lampadaires au-dessus des montagnes maintenant figées par l'obscurité.

 

Fatigué par ce long voyage, Puharich en venait à se demander ce qu'il faisait là et pas ailleurs, dans ce lieu pour le moins étrange. Il était parvenu à un stade de l'expédition où il remettait en question le pourquoi de sa participation. Belk également avait perdu quelque peu son enthousiasme bien qu'aucun d'eux n'eût encore jeté un œil sur l'objet de leur enquête : l'homme connu sous le nom d'Arigό.

 

Ils n'avaient que peu d'indices mais ils étaient troublants. À Rio, le Dr Lauro Naiva, qui avait fait sa médecine aux États-Unis, s'était porté garant de la réalité des guérisons opérées par Arigo, mais il leur avait également dit qu'une enquête des plus sérieuses était nécessaire pour confirmer le flot d'histoires qui avaient pris naissance au village de Congonhas. Il avait insisté sur le fait qu'il était nécessaire de voir Arig pour le croire, et qu'aucune description, aussi précise soit-elle, ne pouvait rendre compte du pouvoir et de la force de cet homme.

 

À Rio, ils avaient également rencontré John Laurance, ingénieur système au sein du programme spatial de RCA et haut responsable qui avait fait partie de la commission consultative lors de la création de la NASA. Laurance avait affirmé que non seulement Arigo, mais tous les guérisseurs du Brésil, qui font un usage non orthodoxe du paranormal aussi bien en chirurgie qu'en médecine, devaient faire l'objet d'une enquête minutieuse.

 

Ces indices, parmi d'autres, auraient dû faire oublier la fatigue du long voyage et entretenir l'espoir d'une découverte extraordinaire... Pourtant, lorsque le minibus s'engagea en cahotant dans les rues étroites et tortueuses de Congonhas do Campo, tard dans la nuit du 21 août 1963, la recherche d'un lit et d'un abri balaya toute idée de découverte scientifique.

 

Congonhas do Campo

Congonhas do Campo est situé dans une faille du plateau, dans les montagnes de l'État de Minas Gerais. Le climat frais et vivifiant, sauf quand les orages éclatent, déversant des trombes d'eau, et que les rivières s'enflent et se mettent en colère. À l'époque où le Brésil était encore une colonie, presque la moitié de l'or produit dans le monde venait de Minas Gerais; aujourd'hui, les diamants et les pierres finies attirent autant que son minerai de fer à haute teneur. Congonhas est entouré de montagnes, et le soleil s'y lève plus tard et s'y couche plus tôt, favorisant ainsi l'atmosphère de mysticisme que l'on trouve partout dans l'État de Minas Gerais.

 

De cette atmosphère de mysticisme sont nées les sculptures qui attirent aujourd'hui à Congonhas des visiteurs du monde entier : les 12 prophètes bibliques d'Aleijadinho. Sculptées de manière exquise dans la stéatite, au XVIIIe siècle, elles se tiennent, semblables à des sentinelles grandeur nature, tout autour de la haute terrasse de l'église du Bon-Jésus, regardant au-delà du village les immenses étendues qui s'étalent jusqu'à l'horizon. La lèpre avait rendu Aleijadinho infirme, mais il avait continué à tailler la pierre à l'aide d'outils attachés aux moignons desséchés de ses bras. Plus de 60 statues grandeur nature du Christ et de la crucifixion, sculptées dans le cèdre, se trouvent dans les jardins à flanc de colline de l'église, bien protégées à l'intérieur de petites chapelles. Les statues de pierre et de bois sont tellement expressives et vivantes qu'elles impressionnent durablement les villageois et les touristes.

 

Les 12 prophètes

Au matin clair et pur qui suivit leur long voyage, Belk, Puharich et leurs interprètes se levèrent avec le soleil et s'apprêtèrent à rencontrer l'étrange paysan pour lequel ils avaient parcouru un nombre incalculable de km. On racontait qu'Arigό se mettait au travail tôt le matin. On les dirigea vers une rue étroite et grossièrement pavée, appelée Rua Marechal Floriano, à peine assez large pour le passage d'une automobile. La ville commençait tout juste de s'animer. Un gaucho à cheval, tirant à sa suite une mule sans cavalier, les dépassa. L'homme hocha la tête amicalement, à la manière brésilienne, et continua son chemin, n'accordant aux deux Américains qu'un regard désinvolte.

 

Ils trouvèrent la petite ⪡ clinique ⪢ d'Arigό, un bâtiment de ciment, semblable aux autres et comportant un étage, au coin d'une rue. Bien que la clinique ne fût pas encore ouverte, plus de 50 personnes attendaient déjà patiemment dans la rue. La ville était coupée en deux par une petite rivière boueuse où des bandes de vautours se délectaient de quelque charogne invisible. Les visiteurs découvrirent près de cette rivière un restaurant ouvert, pas très ragoûtant mais convenable pour apaiser la faim matinale.

 

Après un voyage aussi long que difficile, l'exaltation de Belk et de Puharich était cependant encore tempérée par des doutes. Ils devaient être rejoints dans l'après-midi par Jorge Rizzini, de Sao Paulo, journaliste et réalisateur de documentaires, qui avait été parmi les premiers à attirer l'attention du pays sur Arigo. Convaincu à la suite de visites antérieures à Congonhas de la valeur du travail du guérisseur, celui-ci désirait plus que tout la mise en œuvre d'un contrôle scientifique objectif.

 

Il possédait les films en couleur de plusieurs opérations parmi les plus importantes efectuées par Arigό. Ces films étaient du plus haut intérét pour l'enquête de Belk et Puharich parce qu'ils avaient appris en arrivant au Brésil que l'Ordre des médecins brésiliens et l'Église catholique avaient intenté contre Arigo une action en justice... Non seulement pour exercice illégal de la médecine, mais également pour sorcellerie. On racontait qu'Arigo était très prudent quand il s'agissait d'opérations complexes, de façon à ne pas se mettre dans l'illégalité. Rizzini, qui avait été chaudement recommandé aux Américains en tant que journaliste fiable et intelligent, avait une autre qualité de la plus haute importance : sa femme avait été soignée par Arigo pour une arthrite déformante et sa fille pour une leucémie. Il pourrait, apprirent-ils, leur fournir un grand nombre de détails.

 

Vers 7 h du matin, près de 200 personnes étaient rassemblées dans la rue lorsque les portes de l'étrange clinique (une ancienne église désaffectée) s'ouvrirent. Un vieil aveugle s'appuyant sur sa canne; une femme d'une quarantaine d'années, mince, à l'allure aristocatique et vêtue d'une robe à fleurs; un homme pâle et maigre avec un énorme goître; un enfant blême dans un fauteuil roulant; une grosse femme noire, à la poitrine opulente, qui pressait un mouchoir sur ses yeux. Ceux-là, et une foule d'autres derrière eux, restaient debout, en silence, sur une ligne qui tournait maintenant au coin de la rue et sur les pavés inégaux de la Rua Marechal Floriano. La plupart étaient originaires d'autres régions du Brésil et de l'Amérique du Sud et étaient venus en autocar, en train ou en voiture.

 

Zé Arigό

Bien que les Américains n'eussent pas annoncé leur venue, il était évident que la nouvelle de l'arrivée d'un groupe de recherche s'était répandue dans la localité. Comme les 4 hommes s'approchaient de la porte, ils furent poussés sans ménagement devant les malades par un Noir à la voix douce qui avait pour nom Altimoro. À l'intérieur se trouvait un homme imposant, au large torse, vêtu d'une chemise de sport foncée, d'un pantalon de marin et aux chaussures crottées. Il avait une épaisse moustache noire, une abondante crinière également noire, le teint basané et des yeux remarquables au regard pénétrant. Il ne s'était pas rasé et avait l'allure d'un paysan. Point n'était besoin de demander de qui il s'agissait : c'était Arigo. Il les accueillit avec chaleur, comme s'il savait déjà d'où ils venaient et pourquoi ils étaient là.

 

À l'opposé du mystique, il se situait à mi-chemin entre l'image qu'on se fait d'un chauffeur routier et celle d'un politicien local, ce qui, ainsi que Puharich l'apprit plus tard, était l'une des ambitions ultimes d'Arig. Cependant, dans ce domaine, notre personnage n'était pas favorisé, n'ayant pas pu aller au-delà de l'école primaire et du certificat d'études.

 

Par le biais des interprètes, il dit à Belk et Puharich qu'ils pouvaient rester et observer aussi longtemps qu'ils le désiraient, et qu'ils avaient toute latitude pour interroger les malades. Arigό n'avait guère plus de 40 ans, et dégageait une telle énergie, tout en étant détendu et affable, que les Américains furent très impressionnés. Après ce premier contact, ils s'adossèrent au mur de plâtre rugueux et observèrent les malades qui, sur une seule file, pénétraient dans le bâtiment au compte-goutte.

 

La porte donnait sur une grande salle, comparable à une grange, avec des murs de plâtre vert pâle et un sol carrelé aux dessins géométriques noir et blanc. Des bancs de bois brut s'alignaient contre les murs ou étaient disposés au centre de la pièce sur plusieurs rangs comme dans une église. Triste et résigné, le groupe commença à s'installer en silence sur les bancs vermoulus, puis, quand tous furent occupés, les suivants allèrent s'asseoir contre le mur. La pièce, sombre et saturée d'odeurs, à présent remplie de malades, comportait plusieurs portes. L'une d'elles conduisait à la petite salle dans laquelle Arigo ⪡ opérait ⪢. Elle ne contenait qu'une chaise et une table de bois brut. Derrière celles-ci, une gravure représentait le Christ et sur le mur voisin pendait un crucifix. Une autre porte conduisait à une pièce pourvue de deux ou trois lits de camp, actuellement inoccupée. 

 

Sur les murs, il y avait également plusieurs pancartes artisanales, écrites à la main en lettres d'imprimerie. Sur l'une des plus grandes, on pouvait lire en lettres tracées au crayon noir sur une feuille froissée de papier brun :

 

RECUEILLEZ-VOUS ET RESPECTEZ LE SILENCE,

LA FOI ET LE RECUEILLEMENT DES AUTRES

 

Sur d'autres pancartes, on pouvait lire :

 

PRIÈRE DE NE PAS S'APPUYER CONTRE LE MUR

PENSEZ À JÉSUS

PRIÈRE D'ATTENDRE EN ORDRE

 

Il semblait à Puharich qu'il y avait dans cette ambiance quelque chose d'étrange et d'irréel, on se serait cru dans une scène de Twilight Zone. Il y régnait une atmosphère de chaos tranquille, comme si les malades étaient à la fois confiants et désespérés. Les interprètes n'avaient pas tardé à transmettre la nouvelle selon laquelle les conversations, dans la file d'attente, tournaient toutes autour du même sujet : l'⪡americano doctor⪢ qui était là pour observer. Plusieurs malades jetèrent des regards soupçonneux en direction de Puharich et de Belk.

 

 John Fuller, ARIGO le chirurgien du miracle (belfond 1979)

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité